La donation de titres sociaux d’une société exerçant une activité commercial, agricole ou libérale comporte des écueils qu’il appartient de bien connaître. Acte irrévocable (sauf exception), sur lequel le temps a parfois jeté la voile de l’oubli, il réapparaît lors du décès du donateur. La dimension psychologique attachée à cette transmission familiale ajours à la complexité de cet acte apparemment simple.
RAPPELS
Lorsque les titres sociaux ont la nature de biens communs, les conjoints ne peuvent, l’un sans l’autre, en disposer à titre gratuit. A peine de nullité, le consentement du conjoint à la donation est obligatoire, même s’il ne souhaite pas lui-même se porter donateur.
A peine de nullité, la donation doit obligatoirement revêtir la forme authentique. La seule exception admise par la jurisprudence civile est la donations manuelle d’actions. Gare à la tentation simplificatrice de l’imprimé fiscal 2735 ! la donation des titres sociaux non négociable relève des dispositions de l’article 931 du Code civil et non de la tolérance jurisprudentielle ou administrative.
Toute donation est présumée en avancement de part successorale, sauf mention expresse dans l’actes du caractère hors part successorale de la donation.
DONATION ET SUCCESSION
Toute les donations s’invitent pour la succession du donateurs tant lors de de la reconstitution du patrimoine du donateur (réunion fictive de la donation), que de leur imputation sur la réserve ou la quotité disponible et, pour certaines, pour leur rapport à l’actif successoral.
A – Réunion fictive des donations
Toute donations doit être réunie à la masse des biens existants au jour du décès et ce, afin de calculer la quotité disponible et la réserve héréditaire. La valeur réunie diffère selon la nature de la donation.
La donation en avancement de part successorale ou hors part successorale est réunie pour la valeur des titres sociaux au jour du décès dans l’état au jour de la donation. Les améliorations ou dégradations fortuites sont prises en comptes, mais les améliorations ou dégradations imputables au donataire sont ignorées.
Si pour un immeuble, chacun a une idée assez précise de ce qu’est son état (matérialisable par des photos), il en est tout autre pour les titres sociaux.
Un récent arrêt de la Cour de Cassation (08/07/2009) apporte d’intéressantes précisions :
- la forme sociale n’est pas un élément de l’état des droits sociaux donnés ;
- il en est de même du passif qui a été remboursé par la société à partir du moment où l’absence de ce passif au jour du décès est étrangère aux donataires ;
- si la société détient des titres dans d’autres sociétés et que ceux-ci ont pris de la valeur entre la date de la donation et celle du décès, il faut déterminer si l’activité des donataires dans les filiales a été génératrice de plus-values. La Cour admet cette activité lorsque les donataires sont majoritaires dans la holding et que leur activité, à ce titre de représentation au sein des organes de direction des filiales, a contribué à l’accroissement de la valeur des titres.
Les questionnements étant encore trop nombreuse et les risque liés à l’évaluation pesant comme une épée de Damoclès sur la tête du donataire, la pratique encourage fortement la donation-partage.
La donation-partage est réunie pour la valeur au jour de la donation. Cette exception à la règle de la valorisation des donations (gels des valeurs) suppose trois conditions :
- Tous les héritiers réservataires du donateur ont reçu un lot dans le partage anticipé. La Cour de cassation (06/03/2013 et 20/11/2013) exige, pour que l’acte soit une donation-partage, qu’il y ait eu partage du vivant du donateur et que le partage porte que tous les lots. Autrement dit, un acte mentionnant une donation-partage de titres sociaux d’une même société non individualisés par une numérotation distincte des titres pour chaque donataire n’est pas une donation-partage. De même, la naissance d’un enfant après la donation-partage remet en cause le principe du gel des valeurs. Enfin, l’existence de lots d’égale valeur n’est pas une exigence de validité mais un objectif souhaitable.
- Chaque donataire doit accepter la donation du vivant du donateur. Par exemple, si un parmi les trois donataires n’a pas signé, l’allotissement des lots reste définitif mais leur valorisation est faite au jour du décès.
- Aucune réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent ne doit être prévue. Grande, en effet, est la tentation de le faire afin d’équilibrer des lots sans se départir de son argent.
B – L’imputation des donations
La problématique pour le donataire de la valorisation de sa donation peut se doubler d’une problématique lors de son imputation au décès du donateur.
La donation en avancement de part successorale est d’abord imputée sur sa réserve, puis, si elle l’excède, sur la quotité disponible. Et si cette dernière est dépassée, l’excédent constitue une indemnité de réduction rapportable à la succession.
La donation hors part successorale laisse intacte la réserve du donataire car elle est imputée sur la quotité disponible. Mais si cette dernière est dépassée, l’excédent constitue une indemnité de réduction rapportable à la succession.
La donation-partage s’impute, sauf exception mentionnée dans l’acte sur la réserve de chaque donataire et à ce titre, est neutre pour lui.
C – Le rapport des donations
Le rapport est réalisé en vie de déterminer la masse à partager. Seul le donataire en avancement de part successorale devra rapporter sa donation, et ce pour la valeur des titres au jour du partage. L’indemnité de réduction est toujours rapportable. Ainsi les problématiques vues pour l’évaluation au jour du décès se posent à nouveau lors du partage.
LA DONATION-PARTAGE AVEC SOULTE DE TITRES SOCIAUX
Pour toute les raisons exposées ci-avant, elle doit être l’instrument privilégié de la transmission à titre gratuit. L’exigence d’allotissement de tous les enfant peut être une contrainte lorsque les donateurs n’entendent attribuer les titres sociaux qu’à un seul des enfants et qu’ils ne peuvent pas allotir les autres enfants ou ne veulent pas se départir du reste de leur patrimoine. La solution consiste alors en la donation-partage avec soulte.
Exemple : M et Mme X veulent donner les titres sociaux à Jean, seul des enfants à travailler dans la société. Les titres valent 2 400 000 €. Les parents consentent une donation-partage des titres à leurs trois enfants en prévoyant dans l’acte de leur attribution est réservée à Jean moyennant l’obligation pour lui de verser une soulte à ses frères et sœurs (1 600 000 €).
L’Administration fiscale reconnaît la validité du procédé. Lorsque la donation-partage est faite dans le cadre d’une engagement collectif de conservation des titres (écrit ou réputé acquis), elle admet de faire bénéficier l’intégralité des titres de la réfaction de 75 %. Ainsi pour 2 400 000 € et avec l’abattement général de 100 000 €, la valeur taxable de la donation-partage pour enfant et par parent est nulle. Rappelons qu’au-delà, les donataires auraient pu profiter d’une réduction des droits de donation de 50 % car la donation porte sur la pleine propriétés des titres.
Il n’est guère concevable que Jean utilise sa trésorerie personnelle ou emprunte à titre personnel pour financer la soulte. Aussi, l’article 787 B alinéa f du CGI l’autorise-t-il à faire apport des titres d’une société exerçant une activité commerciale, agricole, libérale, industrielle à une autre société qui prendra en charge la soulte via un emprunt.
Des précautions devront être prises :
- La société holding doit être détenue en totalité et dirigée par Jean ;
- La société holding ne doit avoir comme objet social unique que la gestion de son patrimoine (holding financière pure gérant ses participations) jusqu’au terme de l’engagement individuel de conservation des titres ;
- La société holding et Jean prennent l’engagement de conserver les titres jusqu’au terme de l’engagement individuel.
Sur un plan fiscal, la société holding bénéficiera du régime des sociétés mères-filles. Elle peut également opter pour le régime de l’intégration fiscale. Mais gare à l’amendement Charasse qui conduira à la non-déductibilité des intérêts de l’emprunt.
La donateurs devront se poser la question de l’opportunité d’inclure un droit de retour conventionnel en cas de prédécès du donateur avec ou sans postérité.
L’acte de donation imposera au donataire de ne pouvoir vendre le bien pendant une période donnée qui expira au plus tôt au terme de l’engagement individuel.
CONCLUSION
Les problématiques civiles des donations de titres sociaux doivent être connues pour réussir une transmission. Elles sont encore plus nombreuses lorsque la transmission ne porte que sur la nue-propriété des titres. Enfin, lorsque la donation-partage des titres n’a pour objectif que d’être une opération intercalaire avant la cession, la prudence s’imposera quant au respect des exigences du Code civil sur les conditions de validité d’une cession. C’est en droit (et non dans la datation des actes) qu’il convient de la donation ait lieu avant la cession. L’Administration fiscale a suffisamment démontré qu’elle connaissait les termes de l’article 1583 du Code civil. Elle verra également rouge écarlate en cas de restitution du prix de cession aux donateurs.