L’apport de titres au profit de holdings, considéré comme une opération intercalaire, bénéficie d’un régime de sursis d’imposition (CGI art. 150-O B). Cet avantage a été institué il y a douze ans pour permettre aux entrepreneurs d’éviter temporairement l’imposition des plus-values d’apport car elles ne dégagent pas de liquidités. Mais il est remis en cause à la fois par la jurisprudence et par le législateur.
Toutefois, il n’y a pas d’exonération définitive de cette plus-value puisqu’ultérieurement, lors de la cession, de l’annulation ou du remboursement des titres reçus en contrepartie, le gain net est calculé à partir du prix ou de la valeur d’acquisition des titres remis à l’échange et imposé au taux désormais en vigueur.
Le dispositif d’optimisation fiscale
Ce dispositif est utilisé à des fins d’optimisation fiscales lorsqu’un associé envisage de vendre sa société A. Plutôt que de la céder directement et de réaliser une plus-value immédiatement taxable, le vendeur apporte ses titres à une société holding B qu’il contrôle. La plus-value d’apport constatée sur les titres A (égale à la différence entre la valeur des titres A à la date de l’apport et leur valeur d’acquisition ) est placée en sursis d’imposition (tant de l’impôt sur le revenu que des prélèvements sociaux) et ne fait pas l’objet d’une déclaration l’opération étant considérée comme intercalaire. La société B cède peut de temps après les titres A, dégageant une plus-value limitée voire nulle, correspondant à l’augmentation de valeur des titres A depuis l’apport. Ainsi, le contribuable bénéficie indirectement des liquidités dégagées par la cession des titres A par la société B, sans avoir lui-même cédé les titres de cette dernière, c’est à dire sans avoir été imposé sur sa plus-value d’apport.
Les risques d’abus de droit
Paradoxalement, le CGI n’impose aucune condition de conservation des titres (A) dans la société bénéficiaire de l’apport (B). Pourtant de nombreux contribuables s’interrogent sur la validité de leur montage car l’administration, bientôt suivie par le Comité de l’abus de droit (CAD) et la jurisprudence du Conseil d’Etat, a considéré qu’il relevait de la fraude à la loi sur la fondement de l’article L 64 du LPF s’il avait « pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession des titres ». Le contribuable poursuite alors un but exclusivement fiscal et recherche le bénéfice d’une application littérale du CGI, à l’encontre des objectifs que le législateur a entendu poursuivre, à savoir éviter que le contribuable soit immédiatement redevable de l’impôt sur la plus-value constatée alors qu’il n’ pas perçu de liquidité en contrepartie de l’apport. « L’application littérale contraire aux objectifs des auteurs consiste donc à rechercher simultanément le bénéfice du report d’imposition et l’appréhension effective des liquidités ».
Le montage n’a pas en revanche ce caractère abusif s’il ressort que la holding a effectivement réinvesti une part significative du produit dans le vente dans une activité économique.
Les différent arrêts apportent des précisions sur les situations dans lesquelles il y a abus de droits :
- Sur la notion de réinvestissement économique
Le Conseil d’Etat écarte les investissements purement patrimoniaux (placement en valeur mobilières, inscriptions en comptes courants d’actionnaires). Mais il ne s’est pas prononcé sur la possibilité d’exercer une activité de capital-développement consistant en la prise de participations minoritaires dans des sociétés non cotées. La prudence demeure aussi de mise pour les opérations immobilières (location en meublés, marchand de biens).
- Sur la proportion à réinvestir
Le Conseil d’Etat évoque « une part significative » du produit de cession et a ainsi rejeté une réinvestissement de 15 % du produit de la cession. Le CAD considère pour sa part qu’un quantum de 40 % est satisfaisant.
- Sur le délai de réinvestissement
Le Conseil d’Etat admet que le réemploi n’intervienne pas immédiat dans la mesure où la société justifie de l’accomplissement de démarches actives, dûment documentées. Ainsi, il a accepté un réinvestissement à l’issue d’un délai de 3 années.
Abus de droit et régime automatique de sursis
La plupart des arrêts ayant été rendus dans le cadre du report optionnel antérieur au 1er janvier 2000, une question restait en suspens : le caractère désormais automatique du sursis d’imposition applicable depuis 2000 permet-il d’écarter l’abus de droit, en l’absence de choix du contribuable ? Jusqu’à son revirement de février 2012, le CAD considérait qu’un schéma d’apport-cession dans le nouveau régime du sursis ne pouvait pas être abusif, au motif que ce régime ne donnait pas lieu à une option, contrairement à l’ancien dispositif du report. En outre, dans un décision du 27 juillet 2012, le Conseil d’Etat a suivi l’avis du CAD et transpose ses critères antérieurs au nouveau régime du sursis de plein droit.
Conclusion
Avec le durcissement de l’imposition des plus-values prévu par la Loi de finances pour 2013, les opérations d’apport-cession risquaient de se multiplier, malgré les risques encourus. Cependant, l’incertitude contentieuse qui entoure la procédure de répression des abus de droit, sa longueur, et la difficulté de mise en oeuvre pour l’administration ont convaincu le Gouvernement de définir un nouveau régime légal de report d’imposition, en lieu et place du sursis. Ce dispositif, qui vise aussi à sécuriser les investisseurs, transpose dans la 3° loi de finances rectificatives pour 2012 certains critères retenus par la jurisprudence pour caractériser les opérations abusives.