La conclusion d’un contrat de cession d’actions ou de parts sociales est la plupart du temps précédée par de longues négociations. Ces pourparlers peuvent s’avérer longs et complexes, mais la liberté contractuelle reste de mise pendant toute cette période, c’est-à-dire que les parties sont toujours libres de contracter ou de se retirer des négociations. Une partie, si elle estime que cela est dans son intérêt peut ainsi décider de ne pas conclure ledit contrat. Cependant, même si la liberté prévaut en la matière, le droit impose un minimum de « fair-play » aux parties impliquées. Ainsi si la rupture s’avère abusive, la partie initiatrice devra en répondre et pourra voir sa responsabilité engagée afin d’indemniser son partenaire pour le préjudice subi.

1. Dans quelle mesure, la rupture des négociations sera-t-elle qualifiée d’abusive ?

La partie qui demande réparation suite à la rupture de pourparlers devra établir la faute de son partenaire. Cette faute consiste en un manquement à l’obligation de bonne foi et de loyauté que tout négociateur doit s’efforcer de respecter.

Néanmoins, ce concept est très général et il n’est pas toujours aisé en pratique de déterminer les types de comportement constitutifs d’une rupture abusive. Cela dépend des conditions dans lesquelles la rupture a eu lieu. Les juges examineront les circonstances de fait entourant cette rupture afin de décider si la rupture est abusive ou non. Trois éléments en particulier attirent leur attention, à savoir :

  • L’avancement des pourparlers. En effet, la rupture ne prendra pas le même sens si les parties étaient en négociation depuis une durée considérable et si les point-clés avaient été abordés et résolus ou si, au contraire, elles venaient à peine d’entrer en contact et n’avaient abordé que des points préliminaires. Les juges prennent ainsi en compte la nature et la qualité des relations antérieures.
  • La brutalité de la rupture. Là encore tout est question de modération. On ne rompt pas une négociation menée de longue date par un simple coup de téléphone le jour prévu de la signature. Il est nécessaire d’avoir un minimum d’égard envers son partenaire.
  • La croyance légitime de l’autre partie. Cette question de fait est souvent difficile à évaluer. La croyance légitime s’apprécie au regard des échanges qui ont eu lieu entre les parties. Celles-ci ont-elles pris le soin de manifester des réserves ? Ou n’ont-elles jamais fait part du moindre doute quant à l’issue des négociations et ont mépris leur partenaire en lui faisant croire que le projet allait incontestablement prendre forme ? Aussi le juges seront amenés à examiner le comportement de la partie initiatrice de la rupture, celle-ci sera d’autant plus blâmable si elle a suscité chez l’autre partie la confiance dans la conclusion du contrat envisagé.

Le cas de la rupture brutale

Ainsi dans une affaire jugée par le Cour d’Appel de Versailles le 18 mars 2004, le cessionnaire avait imposé des conditions exigeantes au cédant, (une augmentation de capital de la société convoitée et une transformation en une autre forme sociale (SAS)), avant de procéder à la cession des actions ; en compensation le cédant demandait à être engagé par la société. Le cédant s’était plié auxdites conditions, pourtant le cessionnaire abandonna soudainement le projet, alors que les négociations duraient déjà depuis plus d’un an et ce, sans s’expliquer sur ses raisons et de manière tout à fait inattendue au regard du déroulement des pourparlers. La Cour a donc retenu que le cessionnaire avait manqué à « son obligation de loyauté envers son partenaire qu’il avait maintenu de manière fautive dans l’illusion d’un très prochain dénouement de l’opération de cession de ses actions, alors même qu’il avait satisfait à l’essentiel de ses exigences ». Le cessionnaire a donc été tenu d’indemniser le cédant du préjudice subi du chef de rupture abusive des pourparlers.
De même, il a été décidé que « la rupture de pourparlers sur une cession d’actions par le cédant, après deux ans de négociations, par téléphone, le jour même de la signature prévue du contrat doit être regardée comme étant brutale et abusive, d’autant que le cessionnaire avait effectué les modifications au contrat demandées par le cédant. »

Le fait de mener des négociations parallèles

Le fait de mener des négociations sur plusieurs fronts pour le même projet n’est pas en soi blâmable, à moins que la partie ne soit liée par une clause d’exclusivité. Néanmoins manque à son obligation de loyauté, la partie qui feint de continuer des négociations, alors même que le contrat a été conclu avec une tierce partie entre-temps. Les négociations n’ont plus d’objet puisque le projet ne pourra jamais aboutir. On comprend aisément ici qu’il s’agit d’un comportement condamnable justifiant réparation.
Quant au tiers, avec qui le contrat est signé, il ne peut se voire reprocher d’avoir signé le contrat et ce, même s’il savait que des pourparlers existaient avec d’autres parties, à moins que ce comportement ne soit commandé par une intention de nuire ou que cela s’accompagne de manoeuvres frauduleuses.

2. Quel est le préjudice réparable ?

Le préjudice est constitué :

  • Des frais financiers engagés en pure perte par la suite de la rupture brutale des négociations
  • Du trouble commercial et l’atteinte à l’image de l’entreprise, dont les titres allaient être cédés.
  • Mais la partie victime de la rupture ne peut prétendre à des dommages et intérêts au titre du manque à gagner résultant de la non conclusion du contrat, c’est-à-dire de la perte d’une chance de conclure le contrat envisagé. La Cour de Cassation a refusé cette interprétation et n’admet pas une telle indemnisation.

3. L’accord de principe

Lorsqu’un accord de principe est conclu entre les parties, celles-ci s’obligent à poursuivre des négociations en ce qui concerne un contrat en particulier. Ce type d’accord impose aux parties de mettre tout en oeuvre pour la tenue de négociations dans de bonnes conditions, mais il ne s’agit en aucun cas d’une obligation de contracter au final. Le responsabilité des parties à un tel accord ne pourra être mise en jeu que si celles-ci se refusent catégoriquement à négocier ou encore si elles refusent systématiquement toute proposition, ce qui aboutit à une impossibilité de négocier. Il ne s’agit que d’une obligation de moyens (mettre en oeuvre tous les moyens raisonnables pour conduire des négociations dans de bonnes conditions) et non de résultat (qui serait d’aboutir à la conclusion d’un contrat).