Dans le cadre de la gestion de l’immobilier d’entreprise, la cession d’usufruit temporaire est, à n’en pas douter, une technique de démembrement de propriété qui a gagné, depuis plus de dix ans, le plébiscite des praticiens.
RETOUR SUR LES PRINCIPES DU MONTAGE
Elle est notamment implémentée, en tant que technique d’optimisation fiscale, lorsqu’une entreprise exerce son activité au sein de locaux, propriété de son dirigeant. Elle consiste alors en l’apport, moyennant rémunération, de l’usufruit desdits locaux à la société d’exploitation par la société – souvent une SCI – hébergeant la propriété de l’immeuble et dont le dirigeant est le principal actionnaire, et ce pour une durée fixe convenue contractuellement. Cet usufruit temporaire est, selon les pratiques de place, classiquement arrêté pour une durée de 15 ou 20 ans bien que la limite légale soit de 30 ans selon l’article 619 du Code civil. Ce montage était ainsi destiné, à l’origine, aux dirigeants d’entreprise soumis à l’impôt sur les sociétés via leur société immobilière, désirant acquérir pour leur compte un bien immobilier ou optimiser un achat déjà réalisé. En effet, le dirigeant cédait alors l’usufruit temporaire de son bien immobilier à son entreprise. A la fin de la période, limitée à 30 ans, l’usufruit retournait dans les mains de l’entrepreneur, resté nu-propriétaire. Le seul inconvénient résidait dans les droits de mutation immobiliers à 5.09 % sur la valeur de l’usufruit pour l’acheteur. Les leviers juridiques de ce montage étaient multiples : la personne physique n’était pas soumise aux revenus fonciers, potentiellement taxés à 56.5 % (41 % + 15.5 %), mais soumise, de plein droit, au régime des plus-values, taxées à 34.5 % (19 % + 15.5 %) ; pour la société acquéreuse à l’impôt sur les sociétés. C’est le mécanisme de l’amortissement des immobilisations, issu du droit comptable, qui constituait le principal levier puisque l’usufruit temporaire, s’il durait au moins 10 ans, constituait une immobilisation incorporelle amortissable. Dans cette organisation, l’entreprise ajoutait au plaisir en empruntant les sommes nécessaires à l’acquisition, pour bénéficier de charges financières déductibles.
Divers textes légaux et décisions jurisprudentielles sont venus récemment redéfinir les règles du jeu.
Loi de finances rectificatives pour 2012 et réponse ministérielle Lambert du 2 juillet 2013
L’intérêts fiscal de ce montage a été sérieusement entamé par l’article 15 de la troisième loi de finance rectificatives pour 2012 (LFR 2012 III). A l’origine de cet article, l’administration fiscale souhaitait s’attaquer à toutes vertus des montages par démembrement contre lesquels elle ne pouvait objecter jusqu’alors que l’abus de droit, difficile à démontrer dans le cadre de ces gestions immobilières. Depuis la LFR 2012 III, les cessions d’usufruit faites à des personnes morales, par définition temporaires compte tenu des règles du droit civil les limitant à 30 ans, sont désormais placées sous l’égide du régime des revenus fonciers, éliminant tout intérêts fiscal pour le dirigeant propriétaire. Par ailleurs, cette réforme est sans concession, car à l’occasion d’une cession totale, mais démembrée – la nue-propriété est apporté à un tiers est l’usufruit à un autre tiers – l’application d régime des revenus, fonciers sur l’usufruit continue de s’appliquer, selon l’administration, comme le préciser la réponse ministérielle apportée le 2 juillet 2013 au député Jérôme Lambert.
Dernières décisions du comité de l’abus de droit
Dans ses dernières décisions, le comité de l’abus de droit fiscal (CADF) a connu un regain d’intérêts pour les cessions d’usufruit temporaire en matière d’impôt de solidarité sur la fortune (décision CADF/AC n°2/2012 du 14 juin 2012, avis n°2012-27 ; décision CADF/AC n°5/2012 du 22 novembre 2012, avis n° 2012-29) ou de revenus fonciers (décision CADF/AC n°6/2013 du 26 juin 2013). On retrouve, dans ces décisions, une trame de critères, pour certains très étonnants car allant à l’encontre de la sacro-sainte liberté de gestion, permettant d’éviter la caractérisation de l’abus de droit, selon la CADF, dans le cadre des cessions d’usufruit temporaire : en premier lieu, les transferts de droit (cession d’usufruit) doivent s’accompagner de revenus pour éviter la qualification d’opération fictive (avis n°2012-27) ; en deuxième lieu, les revenus ainsi transférés – le montant des loyers, i.e. le montant de l’usufruit – ne doivent pas être disproportionné vis à vis des objectifs envisagés de l’opération, comme le financement de charges, la levée de fonds extérieurs (avis n°2012-29) ; enfin en dernier lieu, le montant de l’usufruit doit être correctement estimé (avis n°2013-16), ce dernier avis pouvant inciter au recours à des expertises indépendantes à l’occasion des cessions d’usufruit temporaire.
DE BELLES PERSPECTIVES EN DEVENIR
Malgré ces dernières évolutions qui incitent à la plus grande prudence, et compte tenu de la volonté affichée par l’administration de mettre fin aux montage dits « optimisants », les dispositions légales permettant encore un usage très intéressant de l’optimisation par démembrement.
En effet, si la cession se mue en apport à titre pur et simple, c’est à dire en échange de titres nouveaux de la société et non de liquidités, l’essentiel de l’intérêt du montage est préservé. En effet, le dirigeant cesse d’être très taxé, selon la catégorie des revenus fonciers, ce qui diminue son impôt sur le revenu, et ne paie aucun impôt sur une plus-value d’échange, qui demeure en sursis d’imposition. La société garde alors le bénéfice de l’amortissement de l’usufruit, certes sans possibilité d’un financement par emprunt. De même, les droits de mutation pour la société sont négligeables si les titres reçus en échange par le dirigeant sont conservés au moins 3 ans. Ce montage reste simple mais d’un impact fiscal important en termes de trésorerie cumulée nette entre la société et le dirigeant. Si un plan strictement technique d’application des textes, sous réserves d’une qualification en abus du droit, on peut pousser plus loin de raffinement lorsque l’immeuble est détenu par une SCI. Dès lors, pourquoi ne pas envisager d’apporter l’usufruit des titres à prépondérance immobilière de la SCI plutôt que l’usufruit de l’immeuble lui-même ? La complexité juridique monte d’un cran mais, sous réserve de bonnes conventions entre la société et la SCI, la société amortira son droit d’usufruit de titres, mais bénéficiera également de la transparence de l’amortissement lui-même de l’immeuble puisque la SCI passera du régime fiscal des revenus fonciers à celui très avantageux des bénéfices industriels et commerciaux, apprécié en matière immobilière pour la charge comptable d’amortissement qu’il recèle. Le plan d’amortissement devra toutefois être recalculé depuis l’origine et non l’apport, rendant l’intérêt faible pour les acquisitions qui datent. Cependant, on aboutit, par pure application des textes, et sans nécessairement poursuivre un motif exclusivement fiscal, à un double amortissement du même bien immobilier. De même, les exonérations pour détention de titres à long terme pour les dirigeant ne sont pas nécessairement exclues au motif que le mode de détermination du résultat de la SCI est passé en BIC.
Toutefois, la perspective d’un montage relève, sans doute, d’un jeu de mikado jurido-fiscal, techniquement juste, mais sur lequel l’administration ne s’est encore pas prononcée.